Tel cet employé revêtu d'un costume de père Noël, plusieurs dizaines de milliers de personnes ont manifesté à Paris pour la défense du service public, dans une atmosphère bon enfant, mais ce défilé est pour le gouvernement un avant-goût de la fronde sociale qu'il risque d'affronter chez les personnels du secteur public. /Photo prise le 3 octobre 2002 /John Schults REUTERS
Mobilisation réussie des services publics contre les privatisations
vendredi 4 octobre 2002, 15h50 PARIS (AFP) - La mobilisation des électriciens et gaziers, des salariés d'Air France et des cheminots pour "la défense des services publics" semblait pleinement réussie jeudi soir, à l'issue d'une manifestation qui a rassemblé à Paris des dizaines de milliers de manifestants.
Quelque 40.000 personnes, selon la police, 80.000, selon la CGT, ont défilé dans les rues de Paris lors d'une manifestation qui a duré plus de six heures et apparaît comme un sérieux avertissement au gouvernement, dont c'était le premier test social.
Tout au long d'un cortège festif, composé essentiellement de gros bataillons d'électriciens et gaziers et d'une importante délégation de salariés d'Air France, les slogans "pour la défense des services publics" et les retraites étaient à parité avec ceux exprimant "l'opposition aux privatisations".
"Les services publics, nous voulons les garder, égalitaires, solidaires, de qualité", clamait une banderole tandis qu'une autre réclamait le "maintien intégral du statut national" (des électriciens et gaziers), une troisième affirmant : "2002 est le début du combat pour sauvegarder le statut et les régimes de retraite".
Plus politiques, des slogans comme : "Raffarin, t'es foutu, EDF est dans la rue" ou "Touche à rien, EDF appartient aux citoyens". Sans détour : "la privatisation, c'est con" et "EDF au service du public, pas du fric".
Quasi poétiques, des affiches proclamaient "non à la privatisation d'Air France, le ciel n'est pas à vendre". Samba, avertisseurs, sifflets, pétards, binious et les "Motivés" ont accompagné le cortège entre la place de la Nation et Richelieu-Drouot.
A EDF et GDF, la grève a été suivie par 64 % des personnels (57,6 % en mai 1995), selon les directions, les syndicats parlant de plus de 80 % de grévistes.
A Air France, la direction a comptabilisé "moins de 20 %" de grévistes tandis que syndicats et sources aéroportuaires ont fait état d'une "bonne participation" parmi les personnels des pistes. A Air France comme à La Poste, "il n'y a pas eu de perturbation", selon les directions.
Derrière Air France, défilaient cheminots, postiers, agents de France Télécom ou de la RATP, d'Aéroports de Paris, de la Banque de France, de Servair, de la Cogema et de la SNET.
SUD-Rail, ATTAC, le Groupe des Dix, l'Association pour l'emploi, l'information et la solidarité des chômeurs et précaires fermaient la marche.
400 salariés d'Air France ont manifesté à Toulouse, autant à Marseille et 200 à Nice.
Au-delà des chiffres, les confédérations syndicales se sont félicité d'une "journée importante" qui devrait "amener le gouvernement à reconsidérer sa politique économique et sociale", selon Bernard Thibault (CGT).
"Il faut changer de méthode, discuter de la nature du projet industriel et des garanties sociales", a affirmé Michel Jalmain (CFDT) tandis que Marc Blondel (FO) s'interrogeait sur le pourquoi d'une ouverture du capital "alors qu'EDF est capable, dans sa forme juridique actuelle, d'offrir de l'électricité".
Discrets, Henri Emmanuelli (PS), Marie-George Buffet (PCF), Maxime Gremetz (PC), Francine Bavay (Verts) ou Olivier Besancenot (LCR), étaient présents.
Le gouvernement par la voix de son porte-parole, Jean-François Copé, affirme avoir "entendu le message" des manifestants. La ministre de l'Industrie, Nicole Fontaine, a même estimé que la manifestation "pouvait l'aider dans ses négociations avec Bruxelles sur le secteur énergétique".
Les syndicats de fonctionnaires interpellent le gouvernement
• LEMONDE.FR | 02.10.02 | 09h07
Pour la première fois depuis le mouvement social de 1995, les sept fédérations syndicales de la fonction publique viennent d'adresser une mise en garde unitaire au gouvernement. Mardi, on apprenait en effet de source syndicale que les sept organisations (FSU, CGT, CFDT, FO, UNSA, CFTC et CGC) avaient rédigé un communiqué commun après s'être réunies lundi après-midi au siège de la fédération CGT, à Montreuil, en région parisienne. Dans ce texte unitaire, soumis à leurs différentes instances, elles "attirent solennellement l'attention du gouvernement : en l'absence de mesures significatives allant dans le sens de l'attente des personnels et des besoins du service public, il porterait la responsabilité de conflits majeurs".
Elles précisent qu'elles ont convenu de se retrouver afin d'examiner les réponses qui seront apportées par le gouvernement et "le cas échéant, de décider des initiatives d'actions convergentes nécessaires". "Toutes les organisations syndicales sont parties prenantes", soulignent-on du côté des syndicats : "Je crains que nous allions vers des difficultés majeures. Après la manifestation de jeudi (pour la défense du service public), on voit bien qu'il suffit d'un grain de sable et c'est tout le service public qui se mobilise." Dans leur communiqué, les sept fédérations "appellent tous les personnels, mais aussi les usagers, les populations, à intervenir pour défendre et améliorer le service public, lui allouer les moyens indispensables et garantir l'égalité de traitement des citoyens sur tout le territoire".
"DES NEGOCIATIONS SALARIALES IMMEDIATES"
Les sept fédérations voient également mal le souhait du gouvernement qui entend redéfinir les missions de l'Etat avec, à terme, l'espoir de réduire les effectifs de la fonction publique. Le ministre de la fonction publique, Jean-Paul Delevoye, s'efforce d'éviter l'affrontement et a entamé, lundi, une série de rencontres bilatérales avec les syndicats sur la gestion des ressources humaines dans la fonction publique, dossier affiché comme prioritaire par le gouvernement.
Pour les organisations syndicales, la priorité n'est pas là mais sur la question des effectifs et des salaires. "Les 0,7% de revalorisation confirmés pour le 1er décembre n'assureront pas le maintien du pouvoir d'achat" des fonctionnaires, remarquent-elles dans leur communiqué, qui réclament "l'ouverture de négociations salariales immédiates".
Après avoir laissé planer le doute, Jean-Paul Delevoye a annoncé le 26 septembre que le traitement des fonctionnaires serait revalorisé de 0,7% au 1er décembre, comme prévu par son prédécesseur, le socialiste Michel Sapin. Mais, de source syndicale, on ajoute que le ministre a aussi confirmé aux délégations qu'il a reçues que les prochaines négociations salariales n'auraient lieu qu'après celles sur les effectifs. Au total, sur l'ensemble de l'année, l'augmentation salariale sera de 1,3% pour les fonctionnaires, étant donnée une revalorisation de 0,6% déjà intervenue au 1 er mai.
"Il y a aussi une grande inquiétude sur le chantier de la décentralisation car on a l'impression que les décisions sont prises et que les partenaires sociaux n'auront qu'à s'exprimer, point à la ligne", a, pour sa part, déclaré le délégué général de "l'Interfonctionnaires" CFTC, Michel Picard.
Le dossier des ressources humaines ouvert lundi par le ministère recouvre les questions des recrutements, de la formation, de la mobilité, des parcours de carrière et des métiers au sein de la fonction publique. "Il nous a été proposé un programme assez ambitieux, mais sans calendrier", a déclaré le secrétaire général de la Fédération syndicale unitaire (FSU), Gérard Aschieri, premier à être reçu, lundi. Les consultations s'achèveront jeudi.
Fonctionnaires
mutants. Un projet politique avant tout.
Comment réformer l'Etat?
Par
Hervé NATHAN
Libération, lundi 23 septembre 2002
Henri Guillaume, haut fonctionnaire
«Introduire une plus grande transparence»
Henri Guillaume, haut fonctionnaire, a étudié, avec deux
chercheurs, les réformes de l'Etat mises en oeuvre dans plusieurs pays avancés:
Etats-Unis, Canada, Pays-Bas, Grande-Bretagne et Suède. (1)
On parle souvent de «réformer l'Etat», afin qu'il soit «plus
efficace». De votre enquête sur les expériences d'autres pays, quels
enseignements peut-on tirer?
D'abord, que c'est un projet politique, celui de modifier la
gestion publique pour un meilleur service aux citoyens. Ensuite, c'est une ingénierie
qui consiste à définir de nouvelles méthodes de gestion de l'administration
publique. Les pays que nous avons étudiés sont passés d'une logique de
consommation des moyens à une culture de résultat. Qu'on peut définir en deux
volets: premièrement, une réflexion sur l'efficacité de la dépense publique
et une évaluation de l'action publique. Deuxièmement, une grande responsabilité
confiée aux gestionnaires, y compris en matière de ressources humaines. En
clair, il s'agit d'un contrat de performance, qui définit une enveloppe budgétaire
avec des crédits globalisés. On supprime les contrôles a priori, mais on procède
à une stricte évaluation de la performance (?). C'est un donnant donnant qui
porte l'obligation de rendre compte des résultats en échange d'une plus grande
autonomie d'action. Pour cela, il faut construire de nouveaux outils, des
indicateurs de qualité, de coût, des systèmes de gestion prévisionnelle des
ressources humaines, etc. Aujourd'hui, en France, on ne rend compte que des dépenses.
Vous parlez de projet politique. Mais qu'est-ce qui pousse un
gouvernement à tenter ce genre de réforme?
Trois raisons différentes ont poussé à la réforme - qui s'est déroulée,
précisons-le, aussi bien dans des pays libéraux anglo-saxons que dans les pays
nordiques où l'Etat-providence n'est pas remis en question. Premièrement, la
volonté de diminuer le poids de l'Etat par principe: ce que nous avons connu
pendant la vague libérale des années 80. Deuxièmement, les déficits publics.
Parvenus à un certain niveau, ils risquent d'asphyxier le modèle social. C'est
ainsi que la Suède s'est penchée sur l'efficacité de la dépense publique en
1994, à l'occasion d'une crise budgétaire extrêmement violente. Enfin un
motif plus politique, sans doute plus actuel: c'est la désaffection des
citoyens vis-à-vis de l'administration, ou des politiques, l'exigence de
davantage de transparence. Les contribuables commencent à poser la question du
«value for money». En ont-ils pour leur argent?
La performance, n'est-ce pas une manière polie de parler de
rentabilité?
Il faut se garder de l'idéologie: la rentabilité, cela évoque le
profit. Ce n'est pas le cas dans ces expériences. Mais doit-on pour autant
refuser de faire des gains de productivité ? Par ailleurs, il ne faut pas se
faire d'illusion : on ne peut pas tout mesurer. Aux Etats-Unis, on utilise ainsi
de nombreux indicateurs quelquefois peu pertinents. Les systèmes de gestion de
performance ne servent pas à couper les crédits ; cela se fait par des
techniques budgétaires que tout le monde connaît. En revanche, il s'agit de
rechercher des gains d'efficacité, des marges de manoeuvre que l'on peut
utiliser ensuite selon des choix politiques: investir, accroître l'action
publique, réduire les impôts... Aux Pays-Bas, le gouvernement précédent a
ainsi fixé des objectifs de gains de productivité, en demandant une diminution
de 5 % des effectifs à l'ensemble de l'administration, sur la durée de la législature.
Cela a pu se faire grâce à des mécanismes de dialogue social, avec des
syndicats très puissants.
Certes, mais c'est bien une diminution de l'emploi public?
L'objectif est de promouvoir une culture de responsabilité et
d'introduire de la transparence. La question des effectifs se déduit d'un
examen du contenu des dépenses et d'une réflexion sur les objectifs des
politiques. Le dogme du maintien global de l'emploi public conduit au
conservatisme, de la même manière que le slogan: «Il faut couper partout»
est inefficace.
(1) Gestion publique, l'Etat et la performance. Henri
Guillaume, Guillaume Dureau, Franck Silvent. Ed. Presses de Sciences-Po Dalloz
Yves
Salesse, président de la fondation Copernic «Partir d'un débat sur les
missions de service public»
Yves Salesse est président de la fondation Copernic et auteur de Réformes
et Révolutions (Agone, 2001)
On dit l'Etat immobile...
Ce n'est pas vrai. Depuis vingt ans, on a eu le bouleversement des
lois Defferre sur la décentralisation, et la réforme Le Pors de la Fonction
publique. La construction européenne a conduit, de façon moins spectaculaire,
à des évolutions importantes. La loi organique de 2001 sur la loi de finances
introduit des modifications considérables du fonctionnement de l'Etat. On peut
prendre aussi des exemples sectoriels. L'Education nationale a dû, en quinze
ans, passer de 30 à 60 % de bacheliers par classe d'âge. C'est un choc énorme.
On entend partout la nécessité d'une réforme de l'Etat.
Une réforme est nécessaire, mais elle peut être conduite dans
des directions opposées. Un service public à moindre coût, tout le monde est
pour ! Et au-delà ? Du côté des réformateurs libéraux, c'est l'auberge
espagnole. Les propositions ne sont pas claires. Mais les cibles le sont: le
nombre de fonctionnaires, le statut de la fonction publique. Comme ils ne
parviennent pas à dire dans quel secteur il faut réduire l'emploi
(l'enseignement, la santé, la police ? non, pas la police), le statut des
fonctionnaires est même devenu l'incarnation du mal.
C'est pourtant bien une source de rigidité?
Fixer des règles et des garanties est assurément source de
rigidités. Mais il suffit de regarder l'évolution du texte depuis 1946 pour vérifier
que le statut a fait preuve d'une grande capacité d'adaptation. D'ailleurs ses
contempteurs ont du mal à préciser en quoi il empêcherait une bonne
administration. Ils jouent habituellement d'une confusion volontaire entre le
statut général des fonctionnaires, qu'ils veulent attaquer, et les statuts
particuliers des corps, dont il faudrait effectivement remettre en cause la
multiplicité, comme il faudrait remettre en cause la multiplicité et l'opacité
de primes.
Pourquoi, alors, ne s'y attaque-t -on pas?
Les partisans de la «dérigidification» sont souvent issus des
grands corps. Mais ce n'est sans doute pas l'essentiel. On pourrait apprendre du
privé qu'il n'y a pas de réforme sans coût supplémentaire. Comme n'importe
qui, les fonctionnaires sont normalement réticents à des évolutions qui
risquent de dégrader leur situation. Mais il y a, encore, une vraie
particularité de la Fonction publique : l'esprit de service public. C'est sur
lui qu'il faut se fonder plutôt que sur l'importation du management
d'entreprise qui le mine. Les enseignants, les syndicats, n'ont pas fait
obstacle à la massification qui pourtant leur pose des problèmes considérables.
C'est qu'ils étaient convaincus de la nécessité de l'évolution de leur
mission. Il est frappant que nos dérigidificateurs ne disent rien des missions
de l'Etat. En fait, le statut symbolise une certaine sécurité des salariés,
insupportable pour les libéraux .
Les fonctionnaires ont tout de même des privilèges ...
Non. Ils n'ont pas été victimes de la précarisation qui a frappé
une bonne part des salariés du privé. Je n'appelle pas cela un privilège. Il
semble qu'aujourd'hui, on soit mieux rémunéré en bas de l'échelle dans le
public que dans le privé. Il y a vingt ans, on n'aurait pas dit cela.
Entretemps, effectivement, le patronat a profité du chômage de masse pour réduire
les bas salaires.
Il ne faut donc rien changer?
Au contraire, il faut beaucoup changer, y compris l'Etat. Mais cette réforme de l'Etat ne peut être discutée indépendamment du projet de société. C'est pourquoi il faut partir d'un débat sur les missions de service public. Là, les choix s'éclairent. Les libéraux veulent moins d'Etat au profit du marché, c'est-à-dire des plus forts. Ma critique de l'Etat est opposée: il n'assure pas correctement ses fonctions de protection des plus démunis, de promotion de l'égalité des citoyens, de satisfaction de besoins sociaux essentiels. Le premier axe de réforme est de le tourner résolument dans cette direction. Le deuxième axe est de l'ouvrir à la société, alors qu'il a été construit pour conforter le pouvoir central face à elle. Il faut rompre par exemple avec la tradition du secret qui ne se justifie que rarement. Le troisième axe est de modifier la composition de la haute fonction publique, son mode de recrutement fondé sur la seule excellence scolaire, de façon à rompre sa proximité avec les classes aisées.