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Par Le |
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![]() Le projet consistait à creuser un tunnel, non pour quelques-uns (ce qui eut été plus facile et plus rapide), mais pour permettre l'évasion de tous les internés décidés à s'évader. Le projet était insensé, mais la raison avait-elle sa place dans ce camp? Les premiers travaux furent entamés vers le 15 septembre 1943. L'équipe de base qui décida de l'entreprise était composée de Maurice Kalifat, René et Georges Geissmann, Roger Schandalow, Abraham Stern, ainsi que Claude Aron et moi-même qui assurions la codirection des opérations. Dans les jours qui suivirent, et au fur et à mesure des nécessités (évacuer la terre, boiser le tunnel, tasser la terre dans les caves), notre équipe devint de plus en plus importante. Comment rappeler les noms de ceux qui, comme Juda Bacicurinsky et ses camarades, sachant qu'ils partiraient quelques jours plus tard, acceptaient de descendre travailler à l'œuvre de libération dont ils ne profiteraient pas? Il est difficile en peu de lignes de décrire les efforts et les précautions afin de trouver le matériel nécessaire pour creuser une galerie haute de 1 m 30 et large de 0,80 m, éclairée à l'électricité et entièrement boisée, travailler au fond pour percer, transporter la terre, supporter la chaleur, le manque d'air. Chaque jour ou presque, il fallait monter sur les toits, sous des prétextes divers, pour vérifier, à l'aide d'un compas de fortune, la direction de l'axe du tunnel. L'impatience était grande et il était difficile de faire admettre qu'on n'avait pas le droit de percer en surface aussitôt après le passage sous les barbelés. Nous ne savions pas que l'arrivée à Auschwitz impliquait la mort pour 99 % des déportés. Nous étions préoccupés par les soucis du travail de tous les jours. Le temps jouait contre nous, nous étions à la merci du plus petit incident. Les SS s'entraînaient au tir dans les caves. Il pouvait y avoir des mouchards dans le camp. Nos craintes de ne pouvoir aboutir furent bien plus fortes lorsque deux internés arrivèrent inopinément à Drancy. Ils manifestèrent aussitôt un très grand intérêt pour les caves. On décida d'arrêter de creuser, puis de les «mettre dans le bain». Ils s'intégrèrent à l'équipe. Le tunnel avait alors plus de 35 mètres. Une semaine s'étant passée sans alarme, le travail reprit. Il ne restait que 1,30 m ou 1,40 m, une journée d'effort environ à quatre équipes, lorsque le signal d'alarme fut donné: les Allemands se préparaient à inspecter les caves. Ils commencèrent par l'autre extrémité du bâtiment. Les camarades du fond, alertés par des signaux lumineux, cessèrent le travail. La cheminée d'accès fut camouflée, mais comment dissimuler les masses de terre extraites du tunnel, répandues chaque jour sur le sol et tassées sous les pieds? Les SS mirent toutefois un certain temps à découvrir l'entrée du tunnel. Un vêtement oublié avec un numéro de matricule trahit un membre de l'équipe, qui fut torturé. Il donna treize noms. Ces quatorze internés reçurent l'ordre de murer l'entrée du tunnel. Laissés seuls dans la cave, certains estimèrent que l'occasion leur était offerte de s'évader; d'autres pensaient qu'il n'était pas question de s'évader sans les autres. Ils votèrent. Les seconds l'emportèrent. L'entrée fut murée. Nos quatorze camarades devaient partir par le convoi n° 62 du 20 novembre 1943, dix jours après la découverte du tunnel par les SS. Alors qu'ils attendaient, après la fouille, le départ pour Auschwitz, des internés chargés de distribuer la soupe leur firent passer des outils. On leur avait dit que le train passait par Bar-le-Duc et qu'il ralentissait dans la côte de Lérouville. Les outils se révélèrent peu efficaces. Les deux frères, Roger et Georges Gerschel, voyant qu'ils n'arrivaient à rien, arrachèrent les barreaux de la fenêtre avec leurs mains et sautèrent. Les autres suivirent. Claude Aron, avec qui j'avais été arrêté en février 1943 à Montpellier, était parmi eux. Après avoir mis sa femme et ses enfants à l'abri, il rejoignit la Délégation zone sud du comité médical de la Résistance. Il fut de nouveau arrêté en 1944. A Drancy, emprisonné dans une cave, sans lumière. Dépouillé de tout vêtement, les mains attachées, nourri chichement. Un jour sur deux, les SS le faisaient ramper à plat ventre, sur les coudes, sous les coups d'une badine de fer. Mes camarades et moi-même tentâmes d'adoucir ces conditions. On le supplia de s'évader. Il refusa: sa mère et des membres de sa famille avaient été arrêtés en même temps que lui. Il fut déporté et assassiné dès son arrivée à Auschwitz. Claude Aron avait été l'âme et l'animateur de ce tunnel. Ce tunnel, dont pendant quarante ans nous avons fort peu parlé entre nous, fut mis au jour en 1980 lors de travaux de terrassement pour construire un gymnase. Nous le croyions disparu. Le maire de Drancy de l'époque, Maurice Niles, sut nous retrouver et nous donner la parole. Ce tunnel fut conçu comme un acte de résistance par des résistants
(1) Serge Bouder, Eugène Handschuh, Louis Handschuh, Jean Oppenheimer, Claude Rain, Roger Schandalow, Michel Sciama, André Ullmo, Samuel-Paul Zigmant. |
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